Si on se penche sur le taux de rejet, la tendance demeure inchangée, malgré une conjoncture socioéconomique difficile, aggravée par la résurgence de la pandémie. Le taux de rejet des chèques par défaut de provision, en termes de pourcentage, ne dépasse pas les 2%.
Sur l’agenda des travaux parlementaires est marqué noir sur blanc, le programme de la Commission de la législation générale, le 26 novembre. A cette date et à 9h30 précisément, ses membres sont tenus d’examiner le projet de loi N°45/2020 amendant les dispositions du code du commerce relatives au chèque sans provisions. La commission reçoit comme invité de marque le gouverneur de la Banque Centrale, rien de moins, ainsi que l’Association professionnelle Tunisienne des banques et établissements financiers.
Ça, c’est la théorie. En pratique, dans la même journée et à la même heure, concomitamment, donc, se déroulait une grande journée d’étude, conduite par le président du Parlement en personne. Parmi les députés chargés d’animer cette grand-messe sur la justice, des membres de la Commission de législation générale, justement, et, même, son président Nejmeddine Ben Salem. A régné donc une confusion totale, en ce jeudi 26 novembre, à la salle 6. Trois hauts cadres de la Banque centrale, à défaut du gouverneur, étaient alignés les uns à côté des autres, silencieux, des journalistes et une poignée de parlementaires attendaient le démarrage de la réunion. Une attente qui a trop duré, marquée, cependant, par des allers-retours des élus qui faisaient la navette entre les deux salles, entrant et ressortant, parfois se confondant en excuses. En fait, les deux événements se sont court-circuités. Qui s’occupe d’organiser l’agenda de l’Assemblée ?
Dépassant ce premier inconvénient, on décide alors de démarrer timidement la séance avec les présents. Le président de la commission s’en est chargé, pour rapidement s’éclipser et laisser la rapporteure adjointe, Meryem Ben Blegacem, modérer le reste de la rencontre.
Plusieurs recours avant l’emprisonnement
Pour représenter l’honorable édifice de l’avenue Mohamed, V, une belle brochette de directeurs généraux : Mohamed Sadraoui, directeur général du développement, de la surveillance des systèmes et des moyens de paiement, Mohamed Laassaad Louati, directeur général des services juridiques et de la conformité, Mme Olfa Othman, chef d’unité de la Centrale d’administration. Ils ont été rejoints par Mme Amel Ben Rahal, directrice générale de la stabilité financière et de la prévention des risques.
Mohamed Lassaad Louati a pris la parole pour annoncer que plusieurs révisions conduisant non pas à la dépénalisation mais à l’allégement des peines pénales ont été introduites pour le chèque sans provision. Avant d’en arriver à la peine d’emprisonnement, outre l’amende, l’émetteur du chèque a à sa disposition plusieurs recours. En Tunisie, pratiquement au cours de chaque décennie, des amendements ont été mis en place. Le dernier en date remonte à l’année 2007 qui a élargi les délais et introduit une graduation dans l’amende. Cela dit, après le rejet du chèque, plus on agit vite, mieux c’est, les sanctions pénales seront de ce fait allégées.
Une évolution législative de l’avis de tous les intervenants dont l’intérêt est de contrecarrer les opérations frauduleuses. Mais il ne faut pas oublier que la question du chèque est tributaire de l’indice général de confiance, tient à faire valoir M.Louati. Une fois que c’est dit, reprend le directeur général des services juridiques, est-il envisageable aujourd’hui d’annuler totalement la sanction pénale ? Ou bien faut-il poursuivre dans le processus de la graduation ? Dans ce cas, quelles seraient les sanctions alternatives ? Dans la perspective où l’Etat s’attelle depuis des années à réduire l’utilisation du cash à l’instar de ce qui se fait dans plusieurs pays. Des démarches qui ont favorisé la hausse du paiement par carte, par traites ou par prélèvements directs. Des modes de paiement que la Banque Centrale cherche à optimiser. L’institution financière est en train de procéder à l’adoption des révisions spécifiques en temps de crises et à d’autres qui s’opèrent en temps normal. La situation socioéconomique ainsi que le timing dictent la nature des améliorations à introduire.
Le chèque bénéficie encore d’un indice de confiance élevé
Mohamed Sadraoui, directeur général du développement, de la surveillance des systèmes et des moyens de paiement, appelle, à son tour, à une révision structurelle et globale de l’ensemble du système, sur la base d’analyses statistiques. En chiffres, la situation du chèque par rapport aux autres outils de paiement occupe encore une portion de l’ordre de 40 à 45 % des modes de transactions. En mettant à part le chèque digital qui n’est pas encore entré dans l’usage courant des utilisateurs.
Pour ne pas diaboliser le chèque, M.Sadroui a tenu à démontrer que le chèque bénéficie d’un indice de confiance élevé dans les transactions commerciales. A partir des années 2018 à ce jour, le trend est le même. Parallèlement, si on se penchait sur le taux de rejet, la tendance demeure également inchangée, malgré une conjoncture socioéconomique difficile, aggravée par la résurgence de la pandémie. Ainsi, le taux de rejet par défaut de provision ne dépasse les 2%. Ce qui signifie que 98% de l’usage du chèque est normal. Sans oublier qu’outre le non-paiement et les opérations frauduleuses, il existe des rejets liés à des vices de forme. Si on soustrayait les rejets pour vice de forme, le pourcentage des chèques sans provisions ne dépasserait pas 1,5%.
Un gage de garantie
Mme Amel Ben Rahal, directrice générale de la stabilité financière et de la prévention des risques, a précisé que l’institution est en train de réduire l’utilisation du chèque progressivement des opérations de payement. De 70%, le taux a baissé à 50%. Une réduction importante mais qui reste insuffisante selon les expériences comparées. L’usage du chèque aux Etats-Unis est de 10%, alors qu’en Europe il représente 2% seulement. Nous sommes donc loin, compare Mme Ben Rahal. « Les inconvénients du chèque et ses limites sont importantes, c’est pourquoi dans le monde, les autorités financières essayent de réduire le recours à son usage », a-t-elle encore insisté.
Pour l’heure, l’orientation de la Banque Centrale va vers la numérisation des opérations, encore balbutiantes en Tunisie, et à l’utilisation des nouvelles technologies qui nécessitent et les compétences « qui existent » et les équipements à optimiser. « Nous sommes favorables à la mise en œuvre des mesures préventives, s’expriment presque unanimement les intervenants, comme s’assurer de l’existence de la provision avant d’émettre le chèque, avant de l’encaisser. »
De même, se demande M. Lassaad Louati, suite à la suggestion de plusieurs élus, pourquoi ne pas libérer le « détenu », s’il a procédé au payement de son chèque et aux pénalités accumulées ? Pourquoi ne peut-il pas bénéficier d’une réduction de peine ? Mais, rappelle-t-il, « c’est du code pénal qu’il s’agit, la Banque Centrale ne peut à ce niveau que proposer. Le ministère de la Justice étant directement concerné », tout comme les législateurs en l’occurrence.
Si la tendance va vers la réduction, in fine, de l’usage du chèque, au train où vont les choses, il faut bien admettre que ce bout de papier, si précieux, a encore de beaux jours devant lui. Les Tunisiens l’utilisent en ces temps difficiles pour payer mais également et surtout comme gage de garantie. C’est interdit par la loi, mais ça se fait tous les jours.